
Chaïm Soutine: La peinture à corps ouverts : charogne, chair et carcasse

« Devant un tableau de Soutine, pas de demi-mesure, pas de sentiment mitigé, il reste l’objet inclassable qu’il était pour ses contemporains suscitant le rejet ou l’admiration » écrit Marie-Paule Vial, directrice du musée de l’Orangerie dont la collection comporte vingt-deux œuvres du peintre. En effet, Chaïm Soutine (1893-1943), peintre français d’origine lithuanienne, membre de l’École de Paris, s’est distingué par son style proche de l’expressionnisme abstrait, avec des œuvres aux couleurs éclatantes et aux thèmes tourmentés.
Dans la série des bœufs écorchés (vers 1925), Soutine reprend le thème d’une tradition iconographique née au XVIe siècle : celle du sacrifice de l’animal par le père du fils prodigue. Grand admirateur du travail de Rembrandt, il se rendit plusieurs fois au Louvre pour étudier son Bœuf écorché (1655). C’est ainsi qu’il s’appropria le thème. Cette tradition iconographique, violente, morbide, qui peut dénoter des tendances malsaines, est aussi une manière de décrire l’Histoire. Si la toile de Rembrandt est considérée comme un memento mori, l’œuvre de Soutine date de l’époque post Première Guerre mondiale. Ainsi, ce bout de viande, cette chair fraiche dont on aperçoit les entrailles prend tout son sens face aux horreurs de la guerre. Plus tard, Francis Bacon, dans la lignée de Soutine, créa une interprétation du thème : Figure with Meat (1954).

Chaïm Soutine, La Raie, vers 1922. Huile sur toile, 81 x 47,5 cm. Musée Calvet, Avignon.
Les chairs ensanglantées captivent les artistes. Soutine et Bacon se sont plu à poser avec les carcasses. Józef Czapski décrit les ateliers de Soutine comme « sales, avec la viande noircie, pourrissante et puante, qu’il arrosait de sang pour les “aviver”, des portraits d’hommes au visage marqué, des enfants aux yeux innocents, des oies, des dindons, des canards égorgés, accrochés au chambranle. »
Le rouge de Soutine est d’une intensité qui subjugue, qui fixe l’œil à la toile. La couleur est violente. Si l’œuvre de Soutine a un pied dans le passé, sa facture l’inscrit néanmoins dans la modernité. En effet, le geste de son pinceau semble rapide, sa touche est épaisse et laisse voir la matière, les hachures. Les lignes de ses figures sont mouvantes. Il est le précurseur de l’expressionnisme.
C’est ainsi que les oeuvres de Soutine constituent un choc visuel pour le spectateur : elles sont habitées par la folie du peintre. Qu’on les aime ou non, elles provoquent des émotions fortes et ne laissent personne indiférent. Cependant, il faut noter que les œuvres de Soutine n’ont pas connu le succès grâce au public mais grâce aux collectionneurs – Paul Guillaume et le Docteur Barnes participèrent à la renommée du peintre. Et, aujourd’hui encore, les morceaux de viandes de Soutine s’arrachent aux enchères : le 11 mai dernier, Le Bœuf (vers 1923) a été adjugé pour 28,16 millions de dollars ches Christies.
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