
LA MODE, SA BEAUTE, SA FANTAISIE : 38 REGARDS DE PHOTOGRAPHES
Le musée du Design de Barcelone, qui a ouvert ses portes en décembre 2014 sous l’égide de l’Institut de la Culture de Barcelone (département municipal de la culture), est une remarquable réalisation architecturale offrant de belles et originales expositions. Situé à deux pas de la Torre Agbar de Jean Nouvel dans le bâtiment Disseny Hub Barcelona, il abrite des collections permanentes d’arts décoratifs, d’ameublement, de mode, textiles et d’arts graphiques… proposant notamment des expositions photographiques. Jusqu’à la fin mars 2016, il est possible de profiter de l’exposition Distinción. Un siglo de fotografía de moda.
Cette exposition fait cheminer dans l’histoire de la mode de la péninsule au travers un siècle de photographies de 1903 à 2003 : pas moins de 464 photographies de 38 artistes différents. L’exposition est l’une des plus grandes rétrospectives des collections de photographies de mode d’Espagne réalisée sur le continent européen. Juan Naranjo – le commissaire de l’exposition – et son équipe l’ont intitulée : « distinction » dans la mesure où il s’agit d’un flashback illustrant tout à la fois l’art de l’élégance et le concept de différence.
Concrètement, l’exposition s’articule en sept univers de 160 photographies chacun. On peut regretter ce découpage si mathématique qui nous laisse sur notre faim notamment pour la période la plus récente. Les images sont classées par thèmes et exposées chronologiquement pour permettre au visiteur d’analyser l’évolution des vêtements et leur mise en scène, mais aussi le cadrage, la lumière, les modèles, la scénographie et son évolution. On peut admirer des clichés d’éditoriaux de magazines de mode, mais aussi des campagnes de publicité. Depuis le modernisme et ses revues de papier glacé jusqu’au glamour des médias numériques, on comprend l’importance majeure de la photographie pour la mode, notamment en ce qu’elle permet de dévoiler, d’exhiber, de divulguer et d’immortaliser les styles et ses tendances à travers les époques. Chaque salle correspond à une époque et à une tendance (et sous-tendances). Il serait difficile de s’arrêter sur toutes les photos, ou tous les artistes, c’est pourquoi nous avons retenu les “balises” stylistes et les artistes suivants :
– Pere Casas Abarca : un des pionniers du début du XXème siècle, il expérimenta la photo de mode pour un usage publicitaire ce qui était nouveau. Il ne faisait pas de la publicité – de la pub ! -, mais de la « réclame » en créant une « scène » publicitaire avec la mise en avant d’un modèle et d’une tenue dans un contexte imaginé. Il avait évidemment lu Zola et “Au bonheur des dames”, référence du début du siècle (cf. photo 1). Proche de l’esthétique moderniste, il travaillait la photo, la mise en scène, ajoutait le dessin à son travail, le tout pour construire des images convoquant la nature, la mythologie, l’image d’une nouvelle femme moderne, plus libre.

– Dans les années 30 les jeunes photographes sont nombreux ; on retiendra Ramon Batlles fort bien mis en valeur dans l’exposition et surtout Josep Sala. Ce dernier, photographe et publiciste – proche des républicains pendant la guerre civile, puisqu’il travailla pour leur service de propagande – collaborait régulièrement avec le magazine D’Aci i d’Allà, publié à Barcelone entre 1918 et 1936 et dont il prit la direction artistique de 1932. Il collabora également avec les magazines Mirador, Revista Ford, La publicidad et Las 4 estaciones… Avec eux la femme devient “souple”, les codes sont cassés, l’axe vertical de la photo n’est plus, les angles de prise de vue deviennent plus osés pour créer une sensation de dynamisme et mettre en valeur la plastique des corps. La femme est presque « sportive ». Et l’audace est poussée, à tel point que le modèle ne regarde parfois plus l’objectif (cf. photo 2).

– Dans les pages de Alta Costura – le premier magazine de mode majeur en Espagne -, les photographes immortalisent la femme des années 40, séductrice, enjôleuse et mystérieuse. Les photographes de l’époque s’inspirent des portraits d’Hollywood. Les Etats-Unis influencent déjà la vieille Europe, en matière de mode, d’images, de cadrage et surtout de lumières, cette dernière proposant des tonalités intenses, dramatiques, très émouvantes. A Alta Costura ont collaboré de grands noms de l’image : Dorvyne, Scaioni, Seeberger, Lipnitzki, Maywald, André Ostier… Et ce au moment où la couture espagnole prend son essor avec Pedro Rodriguez, Santa Eulalia, Carmen Mir… A la façon de Rita Hayworth ou de Lauren Bacall, l’esthétique choisie est celle du cinéma, jusqu’en 1947 et l’arrivée de la révolution du New-Look de Christian Dior. La femme – les femmes, puisqu’elles sont souvent plusieurs sur les photos – sortent dans la rue. Les photographes espagnols Oriol Maspons et Leopoldo Pomés notamment se connectent avec les courants humanistes, la scénographie de la vie, non sans quelque ironie… Pomés (le Catalan) a activement collaboré à l’érotisation de la société espagnole. Il travaille pour de nombreuses campagnes publicitaires ; c’était le temps où il fallait tout réinventer. Avec lui, la femme, alors soumise et subordonnée aux hommes, parie pour la provocation et rentre en rupture. Il est à la photo ce qu’est le tergal à la mode : une révolution en profondeur. Cette mode des années soixante est étroitement liée à des conquêtes technologiques et à des ruptures qui entraînent une série de réactions en chaîne dans la manière de se vêtir (comme celle de photographier). Désormais, il ne s’agit plus du simple renouvellement d’une garde-robe, mais bien d’une revendication sociale dont la jeunesse prend la tête. La publicité devient un acte militant, presque un art.
– Avec les années 60 et 70 la photographie de mode prend un nouveau tournant, un virage qui fait écho aux mouvements artistiques de l’époque : Pop Art, mouvement hippie, révolution de 68. Les notions de jeunesse et celle de “mouvement” deviennent alors primordiales dans la photographie de mode.
– La variété des photographes des années 80 et 90 est grande. La créativité et la liberté de ton remarquables. Un tandem photographique a atteint une plénitude : Bèla Adlet & Salvador Fresneda. Ensemble, ils parviennent à une telle personnalisation du regard qu’il est aujourd’hui revendiqué par les marques qu’ils ont photographiées, telles que Loewe, Elizabeth Arden, Bloomingdales, Zara ou Gap… Tissus naturels, gaieté, acceptation du temps qui passe, être à l’aise dans son corps et ses mouvements, jusqu’à trouver un point de dignité dans le vêtement et le regard de celui qui le porte, comme dans celui qui le regarde…, cet état d’esprit transparaît dans leurs photos.
– Un regret malgré tout dans cette exposition : peu de photos de Javier Vallhonrat ; il n’y en a qu’une, Vestido de Sybilla, 1988. Or, ce natif de Madrid s’est vite spécialisé dans la mode et s’y consacre dès la fin des années 1970. Il est l’un des pionniers espagnols au plan international. Après des travaux reconnus sur le marché espagnol, il parvient au niveau international en 1981 avec la publication de son travail dans les revues Vogue, Lui ou Vanity… Il est connu pour avoir, pour Vogue (entre autre), installé ses mannequins dans les décors d’Edward Hopper. Il est sans doute le plus grand photographe de mode du pays… ou l’un des plus grands.
Des regards différents, de Pere Casas Abarca, Compal, Josep Compte, Pep Àvila, Ferran Casanova, Txema Yeste (la photo de talons: There Somewhere. Delta del Ebro, 2011 est époustouflante), Eugenio Recuenco, Bèla Adlet & Salvador Fresneda, Javier Vallhonrat, Manuel Outumuro… racontent la mode, sa beauté, sa fantaisie, ses revendications. Et ces photos nous parlent de la femme, des femmes.
J-M Gosselin
Distinción. Un siglo de fotografía de moda. Disseny Hub Barcelona, Museu del Disseny de Barcelona, Place de les Glories, 37-38, 08018 Barcelona. 93 2566800.
Achetez le catalogue il est très bien fait !


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