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Pascin : Les joies de la fesse et le clown triste

Un sang séfarade, turc, italien, espagnol et sans doute plus. Des premiers jours bulgares dans une famille aisée ; une formation artistique à peu près autodidacte et misérable en Allemagne et en Autriche. La vie de Julius Mordecai Pincas est à l’image de son nom d’artiste – une anagramme née de la honte d’un père strict qui refuse que le patronyme d’une famille respectable soit associé aux fruits de bordels qui s’étalent sous le crayon de celui qui fut son fils – Pascin. Une vie (d)ébauchée, contrastée par les lumières de Montparnasse dont l’incandescence des cafés de la Rotonde et du Dôme n’atteint pourtant pas les recoins d’ombre de son plus grand habitué.

C’est d’ailleurs là que le croise un soir Hemingway, assis en terrasse en compagnie de deux de ses modèles, peu farouches, dans un chapitre de son fameux Paris est une fête. Le « prince de Montparnasse » exhorte le jeune écrivain à boire du whisky, à baiser la plus belle des deux sœurs, à être à l’aise, moins sérieux. « Pascin était un très bon peintre et il était ivre, constamment, délibérément ivre, et à bon escient. »

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Jules Pascin, Autoportrait avec un modèle, 1910.

Pascin était aussi bon vivant que mélancolique, et sa fréquentation des maisons closes semble parfois autant motivée par le plaisir que par la sombre matière qui s’exhibe dans ses esquisses érotiques. L’artiste renie la pudeur et déplore les faux-semblants, et plutôt qu’un éloge de la fesse il serait plus adéquat de parler d’un éloge de la face, tant Pascin regrettait un puritanisme affolé par la vue du moindre poil : « Pourquoi une femme est-elle considérée comme moins obscène de dos que de face, pourquoi une paire de seins, un nombril, un pubis sont-ils de nos jours encore considérés comme impudiques, d’où vient cette censure, cette hypocrisie ? De la religion ? » Les modèles de Pascin sont de chair abandonnée, offerte de nom seulement, et ces prostituées qu’il affectionne ne s’abandonnaient certainement pas à son pinceau pour le prix de l’art.

Il était de bon ton à Paris au début du XXe siècle d’être alcoolique et de multiplier les maîtresses. Pascin y excellait mieux qu’aucun autre, et son nom était plus célèbre auprès des garçons de café que des critiques d’art. Pourtant, malgré sa vie sociale éclatante, il réussissait à multiplier aquarelles, fusains, caricatures pour des journaux satiriques, et peintures à l’huile, parfois. Pascin a tout essayé, a connu tout le monde, est allé partout. Exposé au Salon d’Automne, au Salon des Indépendants, à l’Armory Show de New York en 1913, Pascin continue pourtant de se sentir « un proxénète de la peinture », un touriste, une absence d’ambition. « J’ai mesuré l’inutilité de tout », lâche-t-il à l’une de ses régulières.

Jules Pascin, Femme allongée avec les bras levés, 1907.
Jules Pascin, Femme allongée avec les bras levés, 1907.

Le 2 juin 1930, à la veille du vernissage de son exposition à la galerie Georges Petit, il se coupe les veines et, la mort ne venant pas encore assez vite, se pend. Sa fin est à l’image de sa vie, car en dépit d’une mort si torturée et solitaire, ce sont des centaines de gens qui suivent son cercueil quelques jours plus tard dans les rues de Paris, serveurs et barmen comme artistes et critiques.

Hemingway, décidemment, le décrivait le mieux : « Avec son chapeau sur la nuque, il ressemblait à un personnage de Broadway, bien plus qu’au peintre charmant qu’il était, et plus tard, quand il se fut pendu, j’aimais me le rappeler tel qu’il était ce soir-là, au Dôme. On dit que les germes de nos actions futures sont en nous, mais je crois que pour ceux qui plaisantent dans la vie, les germes sont enfouis dans un meilleur terreau, sous une couche plus épaisse d’engrais. »

Une exposition au LAM de Lille, Jules Pascin ou le dessin incisif, lui est consacrée en ce moment, jusqu’au 25 septembre 2016. Vous pouvez aussi vous plonger dans Pascin, dans la collection Mega Square, ou encore Dessins érotiques et 1000 dessins de génie, chez Parkstone International.

Capucine Panissal.

 

Image de couverture: Jules Pascin, Manolita, 1929.

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