
Lucio Fontana : Ouvrez-moi donc cette toile

Huile sur toile, perforations et dessins, 178 x 123 cm.
Musée national d’Art moderne, Centre Georges-Pompidou, Paris.
© Lucio Fontana / ADAGP, Paris
La première fois que j’ai vu une œuvre de Lucio Fontana (1899-1968), c’était au Centre Pompidou à Paris. Ce qui m’avait le plus marquée à cette époque, c’était ce rose hideux – bien trop rose pour être agréable. Après la couleur, j’avais remarqué les trous dans la toile ovoïde et m’étais demandé à quoi tout cela rimait. J’avais la sensation d’être face à une évocation très peu subtile du pouvoir reproductif de la femme et cela ne me plaisait pas vraiment. Par la suite, j’ai compris quel génie avait en fait été Fontana. En un seul petit coup de canif, l’homme avait bouleversé le champ artistique.
Réfugié en Argentine, son pays natal, pendant la Seconde Guerre mondiale, Fontana comprend alors qu’il fait partie de la nouvelle génération d’artistes. Il publie en 1946 à Buenos Aires son Manifesto blanco, qui préconise l’abandon des formes traditionnelles de représentation. À son retour à Milan l’année suivante, il ouvre littéralement une brèche dans l’histoire de l’art en donnant un coup de canif dans une toile monochrome. Ce geste en apparence insignifiant, révolutionne le champ pictural. La toile n’est plus uniquement surface. Elle est aussi espace. Nous sommes en 1947 ; Lucio Fontana vient de créer le spatialisme.

© Musée d’Art moderne / Roger-Viollet
© Lucio Fontana / SIAE / ADAGP, Paris 2014
La toile qui avait accroché mon regard quelques années auparavant s’intitule Concetto Spaziale, La fine di Dio (63-FD.17) (Conception spatiale, La fin de Dieu) et date de 1963. Elle a bien quelque chose à voir avec la fertilité et la matrice. Sa forme ovoïde et sa couleur rose sont de flagrants indices. Mais le titre révèle que l’artiste se situe bien loin de ces considérations physicalistes. La fin de Dieu n’est pas un appel à l’athéisme. Au contraire. Il s’agit plutôt d’un aveu d’impuissance de la part de l’artiste : impossible de représenter le divin dans sa forme traditionnelle tant il nous dépasse. L’artiste tente alors de symboliser son pouvoir créateur à travers des formes universelles comme l’œuf. Les trous dans la toile qui font entrer l’espace dans la surface signifient toute sa transcendance.
Les toiles La fine di Dio ne représentent qu’une partie des concepts spatiaux réalisés par Fontana. Mais elles illustrent cette tendance à l’abstraction qui meut le 20e siècle et qui mène les artistes à l’essence de toute chose. Quoi de plus juste que de représenter l’inconcevable par un monochrome rose criblé de trous ? Qui ne serait pas intrigué, attiré, chamboulé par cette forme étrange et pourtant si familière ? Ce vilain rose pourtant rassurant ? Et ces trous, comme autant d’échappées vers l’inconnu ? La Fine de Dio contient dans sa matière toute la spiritualité de la croyance. Et pour tout ça, elle a pour moi bien plus d’impact qu’une Madone de Raphaël.
La rétrospective consacrée à Lucio Fontana au Musée d’Art moderne de la ville de Paris du 25 avril au 24 août 2014 revient sur l’importance de son travail dans l’histoire de l’art contemporain. Elle présentera plus de 200 œuvres de l’Argentin à travers un grand parcours chronologique. Pour vous donner une idée de la place que tient Fontana dans la chronologie du 20e siècle, vous pouvez aussi consulter l’ouvrage de Parkstone International L’Art du XXe siècle en format papier ou numérique.


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