
Pierre Yantorny – Le bottier le plus cher du monde
Le texte ci-dessous est l’extrait du livre L’Art de la Chaussure: écrit par Marie-Josèphe Bossan, publié par Parkstone International.
Le voile est enfin levé sur le mystère de Pierre Yantorny, « le bottier le plus cher du monde » comme il se qualifie lui-même, grâce à la découverte de son journal intime, de photographies, de documents personnels et de chaussures légués au Musée International de la Chaussure de Romans par le neveu de l’artiste. Son témoignage permet de réécrire l’histoire et d’effacer la légende, concernant ses origines indonésiennes et sa fonction de conservateur du musée de Cluny à Paris.

Cet Italien, né le 28 mai 1874 à Marasso Marchesato en Calabre, scolarisé seulement de huit ans à huit ans et demi, commence, dès cet âge, à gagner sa vie dans une fabrique de macaronis. Rémunéré vingt centimes par jour, il travaille de six heures du matin à dix-huit heures. Puis, il entre au service d’un particulier pour soigner et promener un cheval. Tandis que son père s’installe à Chicago, cet enfant de douze ans arrive à Naples où il entre en apprentissage chez un ouvrier cordonnier qui lui transmet son savoir en guise de salaire.
Six mois plus tard, embauché par un patron, il peut réaliser quelques économies. Ce petit pécule lui permet de s’embarquer à destination de Gênes. Après un court séjour dans cette ville, il arrive à Nice où il se perfectionne dans son métier, mais déjà il rêve de Paris. Pour financer son voyage, et faire l’économie des six euros quarante nécessaires, prix d’un billet de chemin de fer, un cordonnier lui suggère de s’inscrire à l’abattoir de Marseille comme conducteur de moutons.
À ce propos, Yantorny relate dans son journal : « Je suis donc arrivé à Paris après trois jours de voyage, car ce n’était pas un rapide, le 13 juin 1891 ; à quatre heures du matin je faisais mon entrée triomphale dans la capitale de la France. On m’avait donné l’adresse d’un atelier de cordonniers rue Saint-Honoré où je pourrais trouver des ouvriers qui pourraient m’aider à me procurer du travail. Mais hélas ! Cet atelier n’existait plus depuis cinq années ».


Grâce à la complaisance d’un restaurateur italien de la rue Traversière, il entre chez un ouvrier qui travaille pour les grandes maisons parisiennes et qui accepte de le prendre avec lui. Les journées commencent à quatre heures du matin jusqu’à dix heures du soir. Très vite, travail et talent en font un as de la coupe et de l’alêne. Mais son bienfaiteur disparaît sans laisser d’adresse.
Pour acquérir ses outils personnels, il occupe un emploi de laveur de vaisselle dans un restaurant pendant trois mois. Ne trouvant pas de travail, il retourne à Gênes, puis à Nice le 17 janvier 1892 avec vingt centimes en poche. Il y passe l’hiver et se perfectionne encore dans le métier et retourne à Paris.

Inspiré des tissus liturgiques du XVIIe siècle, talon Louis XV. Paris, vers 1912.
Musée International de la Chaussure, Romans.
Il s’y fixe jusqu’en 1898 et se révèle un ouvrier qualifié pour les premières maisons, appellation qui revient constamment dans son journal. Ces deux années passées à Londres lui montrent un nouvel aspect de la fabrication de la chaussure. Il y apprend le métier d’embauchoiriste, qu’il juge le complément indispensable de celui de bottier, tout comme celui, d’ailleurs, de formier. De plus, cette expérience lui offre l’opportunité de maîtriser la langue anglaise, atout considérable pour sa future clientèle américaine.
De retour à Paris pour l’Exposition universelle, il abandonne momentanément son métier de cordonnier pour apprendre celui de formier. Sa petite chambre de la rue Saint-Dominique devient le cadre de ses recherches personnelles.
Il note dans son journal : « c’est là que je commençais mon étude de formier tout seul, j’ai travaillé beaucoup d’heures, ne mangeant pas tous les jours ; l’expérience seule me nourrissait car je voyais que je faisais des progrès dans ce que je cherchais ».

Musée International de la Chaussure, Romans.
Quatre ans après, il loue une ancienne pâtisserie 109, rue du Faubourg Saint-Honoré, et s’installe comme formier pour les cordonniers. La mise au point de quatre modèles différents, « avec toutes les lignes pour charmer l’oeil » selon sa propre expression, lui procure énormément de travail.
Mais il caresse le projet d’atteindre une clientèle élégante : « …je voulais chausser les personnes dont mes chaussures pourraient s’harmoniser avec leurs toilettes et naturellement cela demandait encore beaucoup de sacrifices pour atteindre cette clientèle… »
Quelques années plus tard, il s’installe 26, place Vendôme, en étage, à l’emplacement de l’actuel joaillier Boucheron. Ne trouvant pas de commanditaire, critiqué par toute la corporation des cordonniers, il déclare : « agir vaut mieux que dire et le temps jugera le reste ».
Pour attirer la clientèle, il affiche dans sa vitrine, en guise d’enseigne, « au bottier le plus cher du monde ». Maître de son art, il s’adresse aux clientes richissimes qui ont le temps, le goût, mais surtout les moyens de verser trois mille francs d’arrhes et de se plier aux exigences de six à huit essayages avant la livraison d’une chaussure parfaite. Dans son journal, il insiste sur l’art de l’essayage d’une paire de bottines qui doit permettre de vérifier l’adéquation forme, pied, chaussure.

The Metropolitan Museum of Art, New York.
La négligence du bottier peut entraîner, dit-il, ongles incarnés, cors, oeil de perdrix, et même le grossissement de l’orteil semblable à une pomme de terre. Ce qui l’amène à conclure : « lorsque le client aura acheté chez le cordonnier toutes ces infirmités il les aura tout le temps de sa vie malgré tous les médecins et tous les grands chirurgiens de la terre, il ne pourra jamais se faire guérir. C’est pour cela que les personnes qui ont soin de leur personne et de leur santé doivent faire attention de ne pas confier leurs pieds au premier cordonnier venu ».
Avec humour, Yantorny analyse, en diverses circonstances, les comportements des personnes mal chaussées et les conséquences qui en découlent : « si vous avez des chaussures mal confectionnées et qui prennent l’eau vous attrapez des rhumes et d’autres maladies » ; ce que confirme un savant comme Pasteur : « si vous avez une affaire à traiter, si vous avez mal aux pieds, cela vous rend de mauvaise humeur et vous n’avez pas le courage de traiter votre affaire comme elle doit être présentée », et Yantorny d’ajouter : « si vous allez au théâtre pour voir une pièce que vous aimez et que vous avez des chaussures qui vous font mal, vous n’y trouverez aucun plaisir », ou encore : « si vous allez à un dîner, quoique les mets soient excellents et que la société soit très agréable, si vous avez mal aux pieds vous ne jouissez de rien ».
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