
Louvre et corps sémaphores
Paris, le 14 octobre 1911,
Chère Eugénie,
Je sors tout juste de l’hôtel Coulanges où la Duncan tenait réception et faisait le spectacle. La grâce de ses mouvements enveloppés puis libérés de ses voiles m’ont fait croire un instant, -moi, qui comme tu sais, suis si pragmatique d’ordinaire -, aux nymphes et à leurs danses bacchanales, aériennes et envoûtantes. Elle se mouvait là, son buste offert, ses petits pas flottants, ses enjambées agiles, devant nos yeux ébaubis, et Bobby en devenait presque fou : Isadora, femme moderne, antique vivante parmi les statues vestiges des rêves des poètes. Elle n’est qu’à elle et partout à la fois, Ménades dansant de l’époque romaine, Trois Grâces chez Maillol, Nymphe chasseresse chez Falguière…

L’ère est à la célébration du corps féminin, et je regrette bien que tu ne sois ici avec moi pour voir tous ces spectacles. Je me suis arrêté à un café car la pluie s’est abattue d’un coup et mon pardessus est resté chez Bobby. Ce gars-là c’est quelque chose, il ne jure que par Rodin et ses danseuses cambodgiennes.

Il couvre le prochain Loïe Fuller et figure-toi que ce soir, je l’accompagne ! Nous avons rendez-vous dans une heure, aux Folies Bergères, pour admirer ce papillon de nuit extraordinaire dont le Tout Paris s’émeut.
Quand tu viendras, nous irons voir les ballets russes où Nijinsky triomphe, homme, faune, étoile parmi la multitude de femmes à l’honneur !

Toute cette étonnante modernité se veut héritière des us et coutumes primitifs, du retour à la nature, aux éléments. Le mouvement, voilà l’art du siècle : l’Homme en marche ou qui marche comme l’a fait Rodin – vois comme Bobby m’a contaminé avec ses lubies ! –, « Commoveo ergo vivo », pour parodier Descartes.
J’arrête là cet aparté car la pluie a fini de s’éteindre, et te danse un menuet digne d’un satyre.
Bien à toi,
Nicéphore.
Je me suis laissé pousser la moustache mais je ne me résous toujours pas à épouser la barbichette… Tu me diras ce que tu en penses.
« Corps en mouvement. La danse au musée », du 6 octobre 2016 au 3 juillet 2017 à la Petite Galerie du Louvre ou une exposition de 70 œuvres de l’Antiquité au début du XXe siècle. Avec la participation du chorégraphe Benjamin Millepied, commissaire d’exposition aux côtés de Jean-Luc Martinez, président directeur du musée du Louvre et les prêts du musée Rodin, du musée d’Orsay et du Centre Georges-Pompidou.
by Leïla Vasseur-Lamine

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