
Gustave Courbet, peintre de scandale: la colonne Vendôme, le cas de La femme au perroquet et L’origine du monde.
Le texte ci-dessous est l’extrait du livre Gustave Courbet: écrit par Georges Riat, publié par Parkstone International.
Colonne Vendôme
À la suite de la délibération de la commission d’armement du VIe, Jules Simon décida que le Napoléon de la colonne serait fondu, et que ce bronze servirait à couler la statue de Strasbourg, ornant la place de la Concorde avec celles des autres villes de France. Dans une lettre du 5 octobre, adressée au gouvernement de la Défense Nationale, et publiée le même jour dans le Réveil, Courbet s’insurgea contre ce projet : « Voilà ce que je redoutais : une statue de bronze ! Elle rappellera, dites-vous, immuablement la gloire de Strasbourg. L’histoire est-elle donc si oublieuse, et avons-nous perdu à jamais la mémoire du coeur ? […] La statue de pierre existe, respectée, vénérée de tous. Laissez-la où elle est, avec ses drapeaux, ses couronnes, son crêpe lugubre. Strasbourg n’a fait que son devoir, après tout ; elle se souvenait qu’elle était partie intégrante de la France : elle est morte en vrai Français. Élevez-lui une statue, soit ! mais alors, soyez justes et logiques : coulez aussi des effigies pour Metz, pour Toul, pour Laon, pour Bitche, pour Phalsbourg, pour chaque ville qui succombera, au fur et à mesure que la Prusse l’écrasera… » Il lui paraissait préférable de placer une plaque de marbre avec une brève inscription dans le piédestal de la statue actuelle, et de conserver le bronze du Napoléon pour faire de nouveaux canons, dont on a grandement besoin.

À ce propos, il s’éleva contre les « sots » qui n’avaient pas compris sa pétition relative à la colonne ; certes, il n’avait jamais voulu qu’on la « cassât » ; il voulait seulement « qu’on enlevât d’une rue, dite : rue de la Paix, ce bloc de canons fondus, qui perpétuait la tradition de conquête. La démocratie, le socialisme universel exigeaient qu’on n’élevât plus de monuments qui éternisaient la haine. L’opinion de Courbet sur la colonne était donc très nette ; il ne fallait pas la détruire, parce que c’était une oeuvre d’art, quoique d’un art inférieur ; mais, comme c’était un monument de haine, il convenait de l’enlever de la rue de la Paix ; ses panneaux pourraient être conservés aux Invalides. Les partisans de la destruction radicale étaient fort nombreux, à cette époque ; Courbet n’entrait pas dans leurs rangs, mais se rangeait dans la minorité conservatrice des hommes nouveaux, comme il le ferait plus tard à la Commune.
Le 1er décembre, Courbet et Burty donnèrent leur démission de membres de la Commission des Archives. Les travaux de cette dernière avaient duré près de six semaines ; ils aboutirent à constater que l’honorabilité des fonctionnaires des Musées était complète. Les deux dissidents ne la contestèrent pas, mais ils se séparèrent de leurs collègues pour ne pas avoir à approuver le ministre qui maintenait à leurs postes respectifs ces hommes, qui s’étaient montrés serviteurs si fidèles « d’un odieux régime.
L’Affaire de La Femme au Perroquet
La Femme au perroquet a beaucoup de rapports avec Vénus et Psyché ; le modèle a presque la même pose et l’on retrouve le même lit à colonnes torses, avec une fenêtre qui s’ouvre, à gauche, sur un beau paysage lointain. C’est une magnifique jeune femme, grasse et nerveuse tout à la fois, aux hanches et aux jambes d’un galbe admirable, à la gorge fine et ferme, la tête renversée, qui étale sa luxuriante chevelure rousse, étendue sur un drap blanc, qu’elle retient de la main droite sur le haut de sa cuisse, tandis que son bras gauche se recourbe avec grâce pour soutenir un ara turquoise, ailes éployées au-dessus d’elle. C’est un ensemble coloré merveilleux, où les taches claires et sombres, si contradictoires, s’harmonisent cependant au point d’offrir un repos pour l’oeil, qui passe sans fatigue du drap blanc, au corps rosé, aux cheveux roux, à la draperie brune, au paysage émeraude, en une symphonie graduée avec une maîtrise digne de Titien et des plus grands coloristes.

The Metropolitan Museum of Art, New York.
Avec sa volupté chaude et capiteuse, cette oeuvre contraste avec le charme frais et reposant de la Remise de chevreuils au ruisseau de Plaisir-Fontaine. C’est au Puits noir, par une belle journée ensoleillée ; la voûte des arbres s’ouvre çà et là sur le ciel bleu, entre des roches blanches ou grises, aux arêtes verticales, qui encaissent l’eau limpide, glougloutant sur les cailloux à peine recouverts ; à droite, un petit brocard s’y désaltère, tandis qu’un autre la traverse, la tête aux écoutes ; à gauche, un chevreuil broute quelques feuilles de lierre sous un gros chêne, près d’une biche qui se repose, les pattes étendues. Ceux qui connaissent le site, ne peuvent regarder cette interprétation sans la plus vive émotion, et il semble que tout le monde doive l’éprouver avec eux pour la sincérité, la beauté, la réalité et la poésie à la fois que le maître peintre y a mises : c’est un morceau hors de pair, qui peut compter parmi les rares chefs-d’oeuvre incontestables.
Pendant ce temps, les « deux tableaux » produisirent un effet considérable : « Ils sont enfin tués ! s’écria Courbet, tous les peintres, toute la peinture est sens dessus dessous. Le comte de Nieuwerkerque m’a envoyé dire que j’avais fait deux chefsd’oeuvre, et qu’il était enchanté. Tout le jury a dit la même chose sans aucune objection. J’ai le grand succès de l’Exposition sans conteste. On parle de médaille d’honneur, de la croix d’honneur […] Les paysagistes sont étendus morts. Cabanel a fait des compliments de la femme ainsi que Pils, que Baudry. Il y a longtemps que je te disais que je leur ménageais ce coup de poing en pleine figure ; ils l’ont attrapé. »
Il y eut, cependant, des voix discordantes, Lagrange (Correspondant) sonna le glas du réalisme, qui « descendu des hauteurs où d’imprudents amis avaient essayé de le hisser […] se réduit à n’être plus qu’un système de palette. Au lieu d’imposer au bon sens public des sujets impossibles, il reçoit ses sujets tout faits de la tradition historique, académique ou pittoresque, et c’est seulement dans leur interprétation sur la toile qu’il prétend innover ». Mais la grande majorité des articles et des études, publiés à propos du Salon, apportèrent à Courbet une moisson d’éloges, presque sans réserves.
L’Origine du monde
Vers le mois d’août, Courbet était en pleine activité ; il écrivit à ses parents, le 6 août, qu’il n’y avait rien « d’assommant comme de gagner de l’argent », qu’il devait aller à Trouville, à l’Abbaye de Jumièges, chez M. Lepel-Cointet, revenir à Paris, pour terminer le tableau de Khalil-Bey. Ce tableau que devait achever le peintre, c’était L’Origine du monde.

Peu sincère, Maxime du Camp décrivit L’Origine du monde comme : « Une femme nue, vue de face, extraordinairement excitée et convulsée, remarquablement peinte, « avec amour » comme disent les Italiens, le dernier mot du réalisme. Mais, par quelques erreurs malencontreuses, le dessinateur, qui a copié son modèle d’après nature, a négligé de représenter les pieds, les jambes, les cuisses, l’estomac, la poitrine, les mains, les bras, les épaules, le cou et la tête. » Pourtant, franchissant l’interdit, ce que Courbet n’oublia pas d’illustrer, ce fut le buisson vigoureux des poils pubiens. Au temps où les jambes des femmes étaient mystérieusement gardées derrière de vastes quantités de matière emmaillotée sur des cages de crinoline, l’existence des poils pubiens de la femme était un sombre et honteux secret, ignoré, peut-être même par les hommes mariés. Ainsi, la toile fut longtemps gardée à l’abri des collections privées. Son ultime propriétaire le philosophe Jacques Lacan, beau-frère du peintre surréaliste André Masson, demanda à ce dernier de la recouvrir grâce à un cadre à double fond et de peindre, par-dessus, une autre oeuvre. Il réalisa un paysage enneigé, une version surréaliste de L’Origine du monde, beaucoup plus suggérée. Et, lorsque la toile fut finalement exposée aux yeux du public pour la première fois, au Musée d’Orsay, en 1995, elle causa encore le choc et la contreverse.
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