La Famille Soler, 1903
Art,  Artist,  Français

Pablo Picasso – Un peintre parmi les poètes, un poète parmi les peintres

Le texte ci-dessous est l’extrait du livre Pablo Picasso (ISBN: 9781644618530), écrit par Anatoli Podoksik, publié par Parkstone International.

« Nous ne sommes pas de simples exécutants ; notre travail, nous le vivons ».

Ces mots de Picasso prouvent que son oeuvre dépend étroitement de sa vie : et, pareillement, lorsqu’il parle de son travail, il le désigne du mot « journal ».

Bien que depuis son enfance Picasso menât, selon sa propre expression, une « vie de peintre » et que pendant quatre-vingt ans, il s’exprimât justement dans les arts plastiques de par l’essence même de son génie, il diffère de ce qu’on entend généralement par la notion de l’« artiste-peintre ». Peut-être serait-il plus exact de le considérer comme « artiste-poète », car le lyrisme, une mentalité entièrement affranchie de tout ce qui est prosaïque et ordinaire, et le don de transformer métaphoriquement la réalité sont tout aussi propres à sa vision plastique qu’ils le sont au monde imagé d’un poète.

L’Entrevue (Les Deux Soeurs), 1902, Pablo Picasso
L’Entrevue (Les Deux Soeurs), 1902. Huile sur bois, 152 x 100 cm. Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg.

D’après un témoignage de Pierre Daix, Picasso lui-même « s’est toujours considéré comme un poète qui s’exprimait plus volontiers par des dessins, des peintures et des sculptures ». En fut-il toujours ainsi ? Une précision est nécessaire. Pour ce qui est des années 1930, lorsqu’il se met à composer des vers, et puis des années 1940 et 1950, quand il fait des pièces de théâtre, cela va de soi. Mais ce qui est hors de doute, c’est que Picasso fut toujours, dès le début de sa carrière, « peintre parmi les poètes, poète parmi les peintres ».

Picasso éprouvait un impérieux besoin de poésie, alors que lui-même possédait un charme attractif pour les poètes. Lors de sa première rencontre avec Picasso, Apollinaire fut frappé par la façon fine et judicieuse avec laquelle le jeune Espagnol saisissait, et cela par-delà la « barrière lexicale », les qualités des poésies récitées. Sans craindre d’exagérer, on peut dire que si les contacts de Picasso avec les poètes – Jacob, Apollinaire, Salmon, Cocteau, Reverdy, Éluard – ont marqué successivement chacune des grandes périodes de son art, ce dernier a considérablement influencé, comme important facteur novateur, la poésie française (mais pas seulement) du XXe siècle.

Tête de femme au mouchoir, 1903, Pablo Picasso
Tête de femme au mouchoir, 1903. Huile sur toile collée sur carton, 50 x 36,5 cm. Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg.

Considérer l’art de Picasso – tellement visuel, spectaculaire et, à la fois tellement aveuglant, obscur et énigmatique – comme la création d’un poète, la propre attitude de l’artiste nous y invite. Ne disait-il pas : « Après tout, tous les arts sont les mêmes ; vous pouvez écrire un tableau avec des mots tout comme vous pouvez peindre les sensations dans un poème ». Ailleurs, il disait même : « Si j’étais né Chinois, je n’aurais pas été peintre, mais bien écrivain. J’aurais écrit mes tableaux ». Pourtant, Picasso est né Espagnol et a commencé à dessiner, dit-on, avant qu’il n’ait appris à parler.

Dès son jeune âge, il éprouvait un intérêt inconscient pour les outils de travail du peintre ; tout petit, il pouvait des heures entières tracer sur une feuille de papier des spirales dont le sens n’était compréhensible que par lui seul, sans que, pour autant, elles en fussent privées ; étranger aux jeux de ses camarades, il ébauchait sur le sable ses premiers tableaux. Cette précoce manifestation de la vocation présageait un don extraordinaire.

La toute première phase de la vie, antéverbal et préconsciente, se passe sans dates ni faits : on est comme dans un demi-sommeil, au gré des rythmes tant inhérents à l’organisme que de ceux qui viennent de l’extérieur, charnels et sensoriels. La pulsation du sang et la respiration, la chaude caresse des mains, le balancement du berceau, l’intonation des voix, voilà ce qui en constitue alors le contenu. Puis, tout à coup, la mémoire s’éveille, et deux yeux noirs suivent le déplacement des objets dans l’espace, prennent possession des choses désirées, expriment des réactions émotionnelles.

Dame à l’éventail, 1909, Pablo Picasso
Dame à l’éventail, 1909. Huile sur toile, 101 x 81 cm. Musée des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou.

Maintenant, la grande capacité visuelle détermine les objets, perçoit des formes toujours nouvelles, embrasse des horizons toujours nouveaux. Des millions d’images, perçues par l’oeil mais privées encore de leur sens, pénètrent dans le monde de la vision interne de l’enfant pour entrer en contact avec les forces immanentes de l’intuition, avec les bizarres caprices des instincts et les voix ancestrales.

Le choc ressenti par suite des perceptions purement sensorielles (visuelles, plastiques) est tout particulièrement fort dans le Midi, où la furie de la lumière tantôt vous aveugle, tantôt découpe chaque forme avec une netteté extrême. Or la perception d’un enfant né sous ces latitudes (perception inexpérimentée et encore privée du don de la parole) réagit à ce choc par une mélancolie inexplicable, sorte de nostalgie irrationnelle de la forme. Tel est le lyrisme de la région méditerranéenne ibérique, contrée où l’essence des choses est mise à nu, contrée des dramatiques « recherches de la vie pour la vie elle-même », comme l’écrivait Garcia Lorca, grand expert de ce genre de sensations.

Portrait de Marie-Thérèse Walter, 1937
Portrait de Marie-Thérèse Walter, 1937. Huile sur toile, 100 x 81 cm. Musée Picasso, Paris.

Là, il n’y a pas l’ombre de romantisme ; parmi les formes nettes et précises, il n’y a pas de place pour le sentimentalisme : il n’y a qu’un monde doté de formes physiques. « Comme tous les artistes espagnols, dira plus tard Picasso, je suis réaliste ». Ce qui vient ensuite à l’enfant, ce sont les mots, ces fragments de la parole, premiers éléments du langage. Les mots, ce sont des choses abstraites ; ils sont créés par la conscience afin de refléter le monde extérieur et d’exprimer le monde intérieur. Les mots sont assujettis à l’imagination, c’est elle qui les pourvoit d’images, de sens, de signification, et c’est ce qui leur donne en quelque sorte la mesure de l’infini. Instruments de la connaissance et de la poésie, les mots créent une deuxième réalité – foncièrement humaine celle-ci – celle des abstractions du monde pensé.

Plus tard, quand il se sera lié d’amitié avec les poètes, Picasso découvrira que, par rapport à l’imagination créatrice, les modes d’expressions visuelles et verbales sont identiques. Alors, il transportera dans sa pratique de peintre des éléments de la technique poétique : « polysémie » des formes, métaphore plastique et métaphore chromatique, citations, rimes, « jeux de mots », paradoxes, ainsi que d’autres tropes, ce qui lui permettra de rendre visuel le monde pensé.

La Famille Soler, 1903
La Famille Soler, 1903. Huile sur toile, 150 x 200 cm. Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain, Liège.

La poétique visuelle de Picasso atteindra toute sa plénitude et sa liberté d’expression vers le milieu des années 1930 dans ses nus de femmes, portraits et intérieurs, peints avec des couleurs « chantantes » et « aromatiques » ; ainsi que, et surtout, dans ses dessins faits à l’encre de Chine où cette poétique semble être portée sur le papier comme par des coups de vent…

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