Lucas Cranach l’Ancien, La Clef de l’abîme, vers 1534
Art,  Français

C’est le Diable qui tient les fils qui nous remuent

Crédit vidéo d’introduction : vidéo de la forêt de Coverr-Free-Footage de Pixabay

Le texte ci-dessous est l’extrait du livre L’Art du Diable (ISBN: 9781783108657), écrit par Arturo Graf, publié par Parkstone International.

À la découverte de Satan et…L’Art du Diable plus.

IL est très difficile aux hommes de se faire une idée de la substance incorporelle, distincte, par essence, de celle qui frappe leurs sens. À leurs yeux, celle-là n’est en général qu’une atténuation, une raréfaction de la substance corporelle, un état de densité minimum comparable, quoique inférieur, à l’air ou à la flamme. Pour tous les hommes incultes, et pour l’ensemble de ceux qui se disent civilisés, l’âme est un souffle ou bien une vapeur légère susceptible de prendre l’apparence d’une ombre.

Les dieux de toutes les mythologies, à un degré plus ou moins grand, sont corporels : ceux de la mythologie grecque se nourrissent d’ambroisie et de nectar ; et pour peu qu’ils s’ingèrent (comme ils ont parfois coutume de le faire) dans les querelles des mortels, ils courent le risque d’essuyer de sévères défaites. Rien d’étonnant, donc, à ce que les doctrines pneumatologiques des juifs comme des chrétiens, prêtent généralement des corps aux anges et aux démons.

Fra Angelico, Le Jugement dernier (détail), 1432-1435, L’Art du Diable
Fra Angelico, Le Jugement dernier (détail), 1432-1435. Tempera et or sur panneau de bois. Museo di San Marco, Florence, Italie.

En règle générale, les corps des démons ont forme humaine. Ce qui ne doit nullement nous surprendre dans la mesure où l’homme, qui a fait les dieux à son image, a procédé de même avec les anges et les démons. Néanmoins, lorsqu’on parle de forme humaine, on doit se garder d’imaginer une forme en tous points semblable à la nôtre. En conséquence de son péché et de sa chute, Satan (« La créature qui posséda jadis une belle apparence » comme Dante le décrit), et avec lui les autres rebelles, ne virent pas seulement leurs corps devenir dense et plus grossier, ils virent encore la beauté souveraine dont Dieu les avait affublés se transformer en difformité ignominieuse. La forme des démons est donc humaine, mais défigurée et monstrueuse, où le bestial se mêle à l’humain, voire – c’est souvent le cas – l’emporte sur lui. Et si, sur la base de leur forme, on devait attribuer aux démons (avec le consentement des naturalistes) une place au sein de la classification zoologique, il nous faudrait classer la majeure partie d’entre eux dans la famille d’anthropoïdes qui convient.

Michael Pacher, Retable des Pères de l’Église (détail), 1483, L’Art du Diable
Michael Pacher, Retable des Pères de l’Église (détail), 1483. Alte Pinakothek, Munich, Allemagne.

Une laideur extrême, tantôt impressionnante d’effroi, tantôt ignoble et ridicule, tels étaient alors les traits les plus marquants de ce que j’appellerais les caractéristiques physiques du Diable. Cellesci étaient d’ailleurs fondées. Car en admettant que le beau ne soit pas, comme l’enseignait Platon, la splendeur du bien, il n’en reste pas moins vrai, en revanche, que les hommes, mus par une sorte d’instinct dont nous ne chercherons pas l’origine, associent la beauté à la bonté et la méchanceté à la laideur. Une représentation extrêmement laide de Satan passait pour une oeuvre digne de louanges : non seulement l’âme en sortait purifiée mais on trouvait là un moyen légitime d’évacuer la haine suscitée par un ennemi qu’on ne craignait jamais assez.

Les auteurs de légendes, les peintres et les sculpteurs rivalisèrent d’inventivité pour représenter Satan. Et ils le représentèrent tellement bien, ou tellement mal pour parler plus justement, que Satan lui-même dut leur en vouloir ; quoiqu’il soit peu probable qu’il ait attaché beaucoup de prix à son apparence. De nombreux écrivains du Moyen Âge rapportent la fameuse histoire de ce peintre qui, après avoir exagéré, dans l’une de ses oeuvres, la laideur de quelque démon, fut précipité par ce dernier, tête la première, du haut de l’échafaudage où il travaillait. Heureusement pour notre homme, une madone, qu’il avait représentée sous les traits d’une très grande beauté, tendit brusquement le bras hors de la toile, le rattrapa et le retint suspendu dans le vide.

Francisco de Goya y Lucientes, Saint François Borgia assistant un moribond impénitent, 1787-1788, L’Art du Diable
Francisco de Goya y Lucientes, Saint François Borgia assistant un moribond impénitent, 1787-1788. Huile sur toile, 350 x 300 cm. Cathédrale de Valence, Espagne.

Nul besoin, cependant, d’inventer quoi que ce fût sur ce chapitre. Plusieurs personnes avaient vu de leurs yeux vu le Diable et pouvaient dire comment il était formé. Dans les rêves vertigineux des visionnaires, les parcelles et les fragments d’images, au moindre choc, décidaient de la forme de Satan ; exactement comme les particules de verre multicolore décident de la forme des figures capricieuses du kaléidoscope.

Née vers le milieu du troisième siècle, la célèbre secte hérétique des Manichéens prêtait au prince des démons une forme non seulement humaine, mais gigantesque ; ses adeptes affirmaient aussi que les hommes étaient faits à l’image de ce prince. Saint Antoine (251-356) auquel il devait apparaître sous bien d’autres aspects, le vit un jour déguisé en géant énorme, noir jusqu’au bout des ongles et dont la tête touchait les nuages. Une autre fois, par contre, ce fut sous les traits d’un petit enfant, noir également et entièrement nu. Dès les premiers siècles du christianisme, le noir apparaît comme la couleur d’origine des démons. Cette caractéristique se passe d’explications tant les raisons en sont évidentes et naturelles. Nombreux furent les anachorètes de la Thébaïde à voir le démon sous l’apparence d’un Éthiopien.

David Ryckaert le Jeune, Dulle Griet (Margot l’Enragée), 1651-1659, L’Art du Diable
David Ryckaert le Jeune, Dulle Griet (Margot l’Enragée), 1651-1659. Huile sur bois, 47,5 x 63 cm. Kunsthistorisches Museum, Vienne, Autriche.

Ce qui montre encore une fois que le démon se conforme à l’époque et aux lieux dans lesquels il évolue, ou est contraint d’évoluer. Reste qu’à des époques ultérieures, une multitude de saints – parmi lesquels Thomas d’Aquin n’est pas le moindre – continuera de le voir sous ce déguisement. Les raisons de sa taille gigantesque sont fondées, elles aussi, étant donnée que dans toutes les mythologies, les géants sont en général mauvais. Dans celle de la Grèce, les Titans sont les ennemis de Zeus. Voilà pourquoi Dante les place en Enfer. Voilà pourquoi aussi il attribue à Lucifer une taille gigantesque. Et dans les épopées françaises du Moyen Âge, les géants apparaissent très souvent comme des démons, ou des fils de démons.

William Blake, L’Ange Michel enchaînant Satan, vers 1805, L’Art du Diable
William Blake, L’Ange Michel enchaînant Satan (« Il le précipita dans l’abîme qu’il ferma au-dessus de lui »), vers 1805. Dessin à l’aquarelle, encre noire, et graphite sur papier, 35,9 x 32,5 cm. Fogg Art Museum, Harvard University Art Museums, Cambridge, Mass., USA.

Dans la « Vision de Tundal », écrite vers le milieu du douzième siècle, le prince des démons – condamné à rôtir sur un grill pour l’éternité – ne possède pas seulement des dimensions gigantesques ; il est aussi, à l’instar de Briarée, affublé de cent bras. Et c’est pourvu de cent bras et de cent pieds, comme Briarée encore, qu’il apparaîtra à sainte Brigitte (1303-1373). Quant aux représentations du Diable sous la forme d’un nain, elles proviennent sans doute de l’influence des mythes germaniques qu’on ne prendra pas la peine d’examiner ici…

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